Durant l’été 1980 les ouvriers en grève dans toute la Pologne demandent que des messes soient célébrées au sein même des usines. Jerzy Popieluszko devient aumônier pour Solidarność (Solidarité) dans les aciéries de Huta Warszawa à Varsovie. Il va ainsi changer de vie de façon décisive.
Né le 14 septembre 1947 (jour de la fête de la Croix glorieuse) dans le Nord de la Pologne, Jerzy Popieluszko est ordonné prêtre par le cardinal Wyszynski en 1972.
Il exercera ainsi son ministère dans plusieurs paroisses de Varsovie.
Par rapport au syndicat Solidarność, outre les célébrations au sein des usines, des messes pour la patrie sont organisées mensuellement dès octobre 1980 par le curé de la paroisse Saint Stanislas Kostka.
C’est en février 1982 que le père Popieluszko reçoit la charge d’animer ces messes pour la patrie.
Des milliers de personnes s’y rendent. Les autorités politiques voient en lui un agitateur et un excité mais il bénéficie d’un soutien populaire énorme. Le peuple connaît en effet les sacrifices et souffrances qu’il accepte.
Outre les proches de personnes internées et les militants de Solidarność, ces messes pour la patrie rassemblent de nombreuses personnes chrétiennes mais aussi non croyantes.
Ses homélies sont également diffusées par la presse clandestine de Solidarność.
À partir de septembre 1983 il est de plus en plus accusé injustement et harcelé par les autorités judiciaires et politiques.
Cependant, bien que de santé fragile, il se donne sans retenue pour la cause du peuple.
Il est assassiné le 19 octobre 1984.
Le 3 novembre, cinq cent mille personnes sont présentes à ses funérailles.
Sur une banderole est indiqué : « Saint Georges, tu nous aideras à terrasser le dragon rouge ». Le prénom Georges est la traduction en français de Jerzy.
Ses homélies contenaient des paroles fortes, imprégnées du témoignage de Jésus-Christ, celui qui est vainqueur du mal et de la mort par sa résurrection.
Son amour pour la Vierge Marie, notre Mère céleste, était manifeste et lui a certainement donné la force d’âme nécessaire pour traverser tant d’adversités et aller jusqu’au bout de sa mission. Si cela l’a conduit à sa mise à mort, celle-ci a annoncé la fin inéluctable du régime communiste en Pologne. La concrétisation de la défaite de cette idéologie et de sa structure sociale ne fut plus qu’une question de temps mais le père Popieluszko et Solidarność avaient déjà gagné.
Le peuple polonais allait radicalement changer de vie.
Vous trouverez ci-dessous quelques citations d’homélies (en vert) prononcées par le père Popieluszko lors des messes pour la patrie. On voit à quel point ces paroles sont emplies du souci de la défense du peuple et inspirées par la Bible, en particulier par le Christ et les apôtres, ainsi que par l’exemple de certains de ses modèles au vingtième siècle.
Septembre 1982
« Dans le signe de la croix nous saisissons aujourd’hui ce qu’il y a de plus beau et de plus valeureux dans l’homme. C’est à travers la croix que l’on avance vers la Résurrection. Il n’y a pas d’autre voie. Et c’est pourquoi les croix de notre Patrie, nos croix personnelles, celles de nos familles, doivent mener à la victoire, à la Résurrection, si nous les joignons au Christ qui a vaincu la croix. »
(Jerzy Popieluszko, « Sermons pour la Patrie & Carnets intimes », direction éditoriale : Jean Offredo, Paris, Éditions Cana, 2004, pages 48 – 49)
Octobre 1982
Le père Popieluszko commence son homélie en s’adressant à saint Maximilien Kolbe qu’il qualifie de « Patron de la Pologne souffrante ».
Maximilien Kolbe, un prêtre franciscain polonais, est mort en martyr en 1941 au camp de concentration d’Auschwitz. Il a volontairement pris la place d’un père de famille condamné à mort avec d’autres prisonniers en représailles suite à une évasion.
Ils sont mis dans une cellule où ils mourront ne recevant ni eau ni nourriture.
Sa prière les accompagnera jusqu’à la fin.
Après deux semaines, étant encore en vie, Maximilien Kolbe est assassiné par injection le 14 août, veille de la fête de l’Assomption de la Vierge Marie pour qui il avait une dévotion toute particulière.
Il est d’ailleurs le fondateur du mouvement marial appelé « La Mission de l’Immaculée ».
« Tu es, saint Maximilien, le symbole de la victoire que remporte l’homme dominé par la force, mais demeurant libre dans l’âme.
Pour demeurer libre dans l’âme, il faut vivre dans la vérité.
…
On ne peut détruire la vérité par des décisions ou des décrets. L’esclavage pour nous consiste justement en ceci : que nous nous soumettions au règne du mensonge chaque jour. Nous ne protestons pas, nous nous taisons, ou bien nous faisons semblant d’y croire. Alors, nous vivons dans le mensonge. Le témoignage courageux de la vérité est un chemin qui mène directement à la liberté. L’homme qui témoigne de la vérité est un homme libre même dans des conditions extérieures d’esclavage, même dans un camp, dans une prison. »
(Jerzy Popieluszko, « Sermons pour la Patrie & Carnets intimes », direction éditoriale : Jean Offredo, Paris, Éditions Cana, 2004, page 57)
« Le problème essentiel pour la libération de l’homme et de la Nation est de surmonter la peur. Car la peur naît de la menace. Nous avons peur de la souffrance, peur de perdre un bien, de perdre la liberté, la santé, ou un poste. Nous agissons alors contre notre conscience, qui est un indice de Vérité. Nous surmontons la peur, lorsque nous acceptons la souffrance ou la perte de quelque chose au nom de valeurs supérieures. Si la vérité devient pour nous une valeur pour laquelle nous acceptons de souffrir, de prendre des risques, alors nous surmonterons la peur qui est la cause directe de notre esclavage. Le Christ a rappelé plus d’une fois à ses disciples : ‘‘ N’ayez pas peur. N’ayez pas peur de ceux qui tuent le corps, ils ne peuvent rien faire d’autre …’’ Toi, saint Maximilien, tu es resté fidèle à cet enseignement du Christ.
Tu n’as pas eu peur de partir vers le Japon inconnu, pour dire la vérité sur le Christ. Tu n’as pas eu peur de souffrir ni de perdre la vie. Grâce à cela, ton esprit libre vit et donne du fruit. »
(Jerzy Popieluszko, « Sermons pour la Patrie & Carnets intimes », direction éditoriale : Jean Offredo, Paris, Éditions Cana, 2004, pages 57 – 58)
Notons en parallèle ces paroles de Jésus :
« Si vous demeurez dans ma parole,
vous êtes vraiment mes disciples,
et vous connaîtrez la vérité
et la vérité vous libérera » (Jean 8,31-32)
« … si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas,
il demeure seul ;
mais s’il meurt,
il porte beaucoup de fruit. » (Jean 12,24)
« Nul n’a plus grand amour que celui-ci :
déposer sa vie pour ses amis. » (Jean 15,13)
« Notre regretté primat de Pologne, le cardinal Stefan Wyszynski, emprisonné pour avoir dit la Vérité, écrivait dans ses notes du 5 octobre 1954 : ‘‘ … La peur est le plus grand manquement de l’apôtre … Elle serre le cœur et rétrécit la gorge.
Celui qui se tait face aux ennemis de la bonne cause, les enhardit … Forcer au silence par la peur, telle est la première tâche dans la stratégie impie … Le silence a son sens apostolique uniquement quand je ne détourne pas mon visage devant ceux qui frappent … ’’»
(Jerzy Popieluszko, « Sermons pour la Patrie & Carnets intimes », direction éditoriale : Jean Offredo, Paris, Éditions Cana, 2004, page 58)
Le cardinal Stefan Wyszynski a été le primat de l’Église catholique de Pologne entre 1948 et 1981.
En 1952, face à la propagande marxiste et athée, il a adressé une lettre ouverte au gouvernement polonais intitulée « Non possumus » (Nous ne pouvons pas).
Cette lettre a en outre été signée par tous les évêques polonais. Ils refusaient en effet de collaborer avec le régime communiste.
Il a été arrêté en 1953 et incarcéré durant quelques années.
Le cardinal Wyszynski et le pape Jean-Paul II étaient de grands modèles pour le père Popieluszko dans la lutte pour le peuple polonais.
Novembre 1982
« Plus est grande la souffrance de la Nation, plus grand sera le triomphe. »
(Jerzy Popieluszko, « Sermons pour la Patrie & Carnets intimes », direction éditoriale : Jean Offredo, Paris, Éditions Cana, 2004, page 66)
Janvier 1983
« La liberté est une réalité que Dieu a mise dans l’homme en le créant à son image et ressemblance. Une nation, possédant une tradition chrétienne millénaire, aspirera toujours à la pleine liberté. Car il est impossible de combattre cette aspiration par la contrainte, puisque la contrainte est la force de celui qui ne possède pas la vérité. »
(Jerzy Popieluszko, « Sermons pour la Patrie & Carnets intimes », direction éditoriale : Jean Offredo, Paris, Éditions Cana, 2004, page 87)
« Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. » (Actes des apôtres 5,29)
Mars 1983
« L’Amour surpasse la justice, mais en même temps il trouve son authentification dans la justice.
…
Que la Semaine Sainte et Pâques soient un temps de prière pour nous qui présentons les croix de notre souffrance, les croix de notre salut, signes de la victoire du bien sur le mal, de la vie sur la mort, de l’amour sur la haine.
Et pour vous, frères, qui éprouvez en vos cœurs une haine de mercenaires, que ce soit le temps de réfléchir au fait que la force ne peut vaincre, même si elle peut triompher quelque temps. Nous en avons la meilleure preuve au pied de la croix du Christ. Là-bas aussi, il y avait la contrainte, il y avait la haine de la Vérité. Mais la force et la haine ont été vaincues par l’amour actif du Christ.
Soyons donc puissants en amour, en priant pour nos frères égarés, sans condamner personne, en stigmatisant et en démasquant le mal. »
(Jerzy Popieluszko, « Sermons pour la Patrie & Carnets intimes », direction éditoriale : Jean Offredo, Paris, Éditions Cana, 2004, page 102)
Janvier 1984
« Rester soi-même, vivre dans la vérité est un minimum, pour ne pas effacer en soi l’image de l’enfant de Dieu.
…
… dire la vérité coûte cher. Seule l’ivraie est de vil prix. Il faut payer pour le grain de la vérité. Toute chose, toute grande cause doit coûter et doit être difficile.
…
Le mensonge avilit la dignité humaine et est l’apanage des esclaves, des pusillanimes. »
(Jerzy Popieluszko, « Sermons pour la Patrie & Carnets intimes », direction éditoriale : Jean Offredo, Paris, Éditions Cana, 2004, page 165)
Juin 1984
« Un homme juste est celui qui est guidé par la vérité et par l’amour. Car plus il y a en l’homme de vérité et d’amour, plus il y a de justice.
…
La justice fondée sur l’amour est la condition de la paix, dans nos consciences, dans la famille, dans la Patrie et dans le monde entier. »
(Jerzy Popieluszko, « Sermons pour la Patrie & Carnets intimes », direction éditoriale : Jean Offredo, Paris, Éditions Cana, 2004, page 182)
« C’est la justice et le droit à la vérité qui nous poussent à réclamer ici de mettre fin aux excès de la censure, qui est en train de préparer un mauvais témoignage pour notre époque et empêche à présent les gens de connaître la vérité. »
(Jerzy Popieluszko, « Sermons pour la Patrie & Carnets intimes », direction éditoriale : Jean Offredo, Paris, Éditions Cana, 2004, page 183)
« Je vous demande de réfléchir : mesurons le courage que chacun de nous détient pour réclamer la justice, dans quelle mesure chacun de nous est un promoteur de la justice en commençant par lui-même, par sa famille, par son entourage. Car c’est souvent notre passivité morale qui est à l’origine de l’injustice. »
(Jerzy Popieluszko, « Sermons pour la Patrie & Carnets intimes », direction éditoriale : Jean Offredo, Paris, Éditions Cana, 2004, page 185)
« Amour et Vérité se rencontrent,
Justice et Paix s’embrassent ;
Vérité germera de la terre,
et des cieux se penchera la Justice ; » (Psaume 85 (84),11-12)
De ces quelques extraits on constate l’importance que le père Popieluszko donnait à certains thèmes qui me semblent fondamentaux si l’on veut changer de vie au niveau personnel comme en matière de structure sociale.
Parmi ces différents thèmes, je relèverai notamment ceux-ci :
– la force qui vient du fait de joindre nos croix au Christ ;
– la liberté de l’homme (créé à l’image de Dieu) et de la nation ;
– la certitude du triomphe après la souffrance ;
– démasquer le mal et prier ;
– la vérité ;
– le lien entre l’amour et la justice.
L’Évangile nous révèle que Jésus est le Verbe de Dieu fait chair. Il est celui qui conduit à la vie éternelle en Dieu.
Durant toute sa vie terrestre, Jésus a toujours dit la vérité et de ce fait a beaucoup dérangé. Ce fut le cas en particulier par rapport aux privilégiés de la structure sociale de l’époque.
Comme le père Popieluszko, suivre le Christ implique donc de rejeter le prince des ténèbres et père du mensonge.
Il s’agit ainsi de dire ‘‘oui’’ à la justice et de vivre sous le regard de Dieu lequel nous rendra selon notre conduite.
Il est impossible de dire ‘‘oui’’ à Dieu et à sa justice si l’on ne dit pas ‘‘non’’ à l’Ennemi de la créature humaine.
« Que votre langage soit : ‘‘Oui ? Oui’’, ‘‘Non ? Non’’ : ce qu’on dit de plus vient du Mauvais. » (Matthieu 5,37)
Si cela implique d’avoir les yeux tournés vers le ciel pour le salut de l’âme, cela exige cependant une vie terrestre aussi cohérente que possible et de plus en plus.
C’est pourquoi il est notamment important d’œuvrer pour une société animée par davantage de justice, de paix, d’amour miséricordieux et de vérité.
« Cherchez d’abord son Royaume (le Royaume de notre Père céleste) et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. » (Matthieu 6,33)
Ainsi si le Christ nous libère de l’esclavage au péché, c’est bien évidemment par rapport à notre propre péché mais c’est aussi pour dépasser la peur face au péché de l’intimidation.
Nous pourrons alors changer de vie et peut-être même radicalement.
Cette vie nouvelle s’opérera en notre for intérieur ainsi que dans nos actions pour une société plus juste impliquant des changements notoires dans sa structure sociale.
Marc Schonnartz
9 janvier 2021
Jerzy Popieluszko a été béatifié en 2010.
Vous trouverez d’autres citations du père Popieluszko aux pages :
– « Comment Notre Dame peut transformer vos jeunes » ; cliquez sur ce lien ;
– « SolidarNotre Dame » ; cliquez sur ce lien.
Pour regarder une vidéo résumant la vie terrestre du père Popieluszko, cliquez sur ce lien. Elle contient des images d’archives interpellantes et montre comment il s’est donné pour la cause du peuple polonais afin que celui-ci puisse changer de vie et de structure sociale.
Des livres sur Jerzy Popieluszko :
– Jerzy Popieluszko, « Sermons pour la Patrie & Carnets intimes », direction éditoriale : Jean Offredo, Paris, Éditions Cana, 2004.
– Bernard Brien, « Jerzy Popieluszko – La vérité contre le totalitarisme », Paris, Éditions Artège, 2016.
L’auteur témoigne en outre du miracle impressionnant obtenu par l’intercession du père Popieluszko en 2012.